8 février 2015

Qu’est-ce-que Gbagbo a fait?

Le panafricaniste.  L’opposant historique.  Et malgré le fiasco qu’ont été les dernières élections en Côte d’Ivoire, Gbagbo est toujours aimé, si c’est cela le mot juste, par une grande (?)partie de la population Ivoirienne.  Quelqu’un même me disait récemment, “Gbagbo est le meilleur président que la Côte d’Ivoire ait jamais connu.”  Des mots forts, mais des mots qui m’ont emmenée à me demander, “Qu’est-ce-que Gbagbo a fait?”

C’est une question qui me préoccupe beaucoup, surtout dépuis que je suis révenue au pays.  Parce qu’analyser une situation de loin et de près ne produit pas toujours les mêmes résultats.

De loin, Gbagbo était le panafricaniste, l’opposant historique que j’ai toujours admiré parce qu’il était l’un des rares opposants à avoir tenu tête à Félix Houphouet-Boigny.  Dans ses discours, il nous rappelait combien nous étions encore des colonisés qui n’avaient pas besoin de se comporter comme des colonisés.  En effet, c’est la France même qui avait besoin de nous, alors nous devions briser le joug.

En tant que président aussi, n’avait-il pas suscité l’espoir chez de nombreux Africains même?  Devant la cohorte de marionnettes qui prétendent être des chefs, Gbagbo apportait un autre débat.  Dans ses chemises-pagnes à manches longues, son français terre-à-terre comme on le dit ici en Côte d’Ivoire, son goût pour la nourriture Ivoirienne, le fait qu’il se sentait à l’aise dans son village à Mama que quelque part en France peut-être ont contribué à faire de Laurent Gbagbo un président qui semblait plus proche de son peuple.  Grâce à lui, l’Ivoirien lambda en sait un peu sur notre affaire de Franc CFA et les termes comme “le Pacte Colonial” ou encore “Souveraineté Nationale” ne sont plus des termes étrangers; “les gros-gros français que les boss parlent.”

Pour moi donc, Gbagbo était blanc comme neige.  Mais la neige est seulement jolie quand elle tombe.  La scène qui se présente quand une bonne quantité de neige est tombée est picturesque; une véritable carte postale.  Mais ça, c’est seulement quand tu as de la bouffe à la maison.  Quand tu ne dois pas sortir et quand aucune voiture n’a roulé sur cette neige, sinon, bonjour!  La neige dévient du glaçon noir.  En ce moment là, la neige n’est plus blanche et la neige n’est plus belle.

Du retour au pays, j’ai commencé à régarder les choses, j’allais dire en face, mais ce serait mentir.  L’admiration que je portais à l’opposant historique ne s’était pas totalement dissipée.  Cependant, elle avait reçu un coup dur quand Gbagbo avait affirmé avoir gagné les élections.  Ce jour là, mon coeur meurtri a dit, “Pourquoi, Gbagbo?  Pourquoi?”  Pour moi, même s’il avait gagné les élections, et chacun a sa théorie sur ces élections là, qu’est-ce-qu’il pensait bien que son bras de fer allait apporter?

C’est ici que je pense que Gbagbo avait commis l’erreur fatale; il s’était engagé dans un combat sans avoir d’alliés.  On ne compte pas sur l’agitation de quelques “jeunes patriotes” pour mener ce genre de combat idéologique, surtout quand la communauté internationale était aussi hostile.  La CEDEAO et l’Union Africaine ne se sentaient pas concernées.  L’ex puissance coloniale qu’est la France qui a toujours son mot à dire dans les affaires intérieures de ses anciennes colonies s’acharnait sur lui, certains diront, et même les Etats Unis étaient rentrés dans la danse de “Quitte le pouvoir, Gbagbo!”.  Pour moi donc, la meilleure option aurait été de se rétirer.  A moins qu’il voulait prouver la trop grande ingérence de la France dans les affaires intérieures d’un Etat indépendent et le marionnétisme de ses pairs.  Et alors?

On ne va pas en guerre seul, et on ne décide pas de prendre la population pour laquelle on se bat en otage.  Si, et un très grand si, mais s’il gagnait le combat, et puis quoi?  Un panafricaniste ne permet pas à ce que son pays soit une île.  La Côte d’Ivoire a et avait besoin des autres pays, non seulement ceux de la sous-region mais ceux du monde entier.  Si David Cameron de la grande Grande-Bretagne se bat pour que son pays reste dans l’Union Européenne, il sait pourquoi.

Et puis encore, il y avait ce fameux point d’achèvement de l’initiative PPTE qui aurait abouti à un abandon substantiel de la dette extérieure de la Côte d’Ivoire.  Si donc l’occident ne voulait pas nous voir indépendents, nous Africains, alors pourquoi après avoir perdu le combat idéologique, s’assierait-il sur ses lauriers pour que le pays connaisse une quelconque indépendence financière?  Une quelconque victoire de Gbagbo serait une victoire vide car son programme politique tomberait alors à l’eau et c’est nous les Ivoiriens qui en souffriront.  En s’entêtant comme il le faisait, il ne se comportait pas en panafricaniste, et pire encore, il risquait notre devenir.  Si c’était la France qui était à la base de toutes les tractrations comme il l’affirmait haut et fort, alors encore, qu’est-ce-qu’il pensait obtenir?  Contraindre les Français à laissé tomber leur précieuse poule aux oeufs d’or?  Et si cela entrainait la révolte des autres pays du pré-carré?  Alors en ce moment là, la France se nourrit comment?  Le bras de fer n’allait alors jamais avoir l’effet désiré.  Tout le monde pouvait voir çaet Gbagbo aussi pouvait voir ça.  Mais encore, sait-on ce que Gbagbo désirait?

“Pourquoi, même s’il avait gagné les élections, ne s’était-il pas rétiré tout simplement?  Il serait rentré dans l’histoire par la grande porte!” me suis-je lamentée à quelqu’un qui le connaissait assez bien.

“Il sait ce qu’il faisait.  C’est l’histoire qui lui donnera raison.”  Il a dit et j’ai eu l’impression que la première phrase était probablement une spéculation.  L’opposant historique et l’historien qu’était Gbagbo ne pouvait que savoir ce qu’il faisait.  Même quand il s’était enfermé dans le bunker, il savait ce qu’il faisait.

Cependant, s’il savait ce qu’il faisait là, certains des autres actes qu’il posait ne collaient pas trop avec l’image du panafricaniste dur que nous avions de lui.  En tout cas, certains d’entre nous.  Pour moi, un panafricaniste, et un historien de surcroit, n’aurait pas tant vilifié les autres pays voisins; il n’aurait surtout pas repris la théorie très xénophobique du concept de l’ivoirité et causer une grande partie de la population Ivoirienne de ne pas se sentir Ivoirienne.  S’il y a une notion à laquelle tout panafricaniste digne de ce nom doit adhérer, c’est qu’aucun Africain ne doit se sentir étranger en Afrique, à plus forte raison dans son propre pays.  En tant qu’historien – et donc connaissant l’histoire de la Côte d’Ivoire – et panafricaniste, aucune raison ne justifiait l’adoption de ce concept.

L’autre constat que j’ai fait, c’est que Gbagbo est toujours adulé au pays.  Tellement adulé qu’un débat objectif est impossible.  Tu es soit pro-Gbagbo et donc forcément anti-Ouattara ou pro-Ouattara et alors anti-Gbagbo.  Oui, les choses sont aussi black and white que ça.  On ne trouve pas de défauts à Gbagbo et on ne trouve pas que Ouattara travaille, sinon c’est la méfiance.  Bien sur, si tu tiens un tel langage et que tu es du nord, c’est normal; tu n’es qu’un Alassaniste.  Ne le savez-vous pas?  Alassane Ouattara, c’est pour les Dioulas.  Un clivage que je trouve bien dommage et lamentable, surtout quand des jeunes de mon age s’y mettent.

Autour d’un poulet kédjénou avec quelques amis, j’ai dit que je parlais très bien le Dioula.

“Ma soeur, sois délivrée!” a lancé l’une des personnes autour de la table.

Le reste de la table a ri.  Le cadre n’étant pas propice, j’ai laissé tomber.  Parce que j’avais voulu provoquer.  Je ne parlais plus très bien le Dioula mais je le comprenais toujours tout de même.  Ayant passé dix années de ma vie à Odienné dans le nord du pays, je me considérais, et je me considère toujours comme une Odiénnéka.  Pourquoi devrais-je maintenant taire cette partie de mon identité?  Pourquoi est-ce-que l’historien que tous les panafricanistes basés hors du pays acclament tant n’a pas fermé le fossé ouvert par l’ivoirité mais a plutôt contribué à son élargissement?

Aussi, il y a cet autre phénomène dont on voyait l’ampleur, même n’étant pas au pays.  Je veux parler du phénomène Blé Goudé.  Blé Goudé et ses jeunes patriotes ont dit des choses, trop de choses, des choses qui donnaient une image pas très intéressante des Ivoiriens.  Pour un pays avec une si forte immigration, nous étions devenus des racistes et des xénophobes.  Au lieu de patriotes, on était dévenu des chauvins, et personne n’aime les chauvins.  Mais les gars parlaient et le Chef de l’Etat ne disait rien.  C’était comme s’il cautionait leurs propos, surtout quand le Général de la Rue est dévenu le Ministre de la Jeunesse et des Sports.  Et puis les barrages!  Les barrages!  Pourquoi tant de contrôle?  Pourquoi tant de surveillance, diront certains?  Ah oui, parce que le pays n’était pas en sécurité.  Tout le monde se régardait en chien de faience.  Mais qu’est-ce-qui était à la base de ça?

Et donc, je me démande, qu’est-ce-que Gbagbo a fait, pour être si adulé?

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Commentaires

Aboudramane koné
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un peu trop simpliste sur la possible admiration qu'on porte à gbagbo, quand on sait qu'au FPI son parti d'origine on le veut loin de la Côte d'ivoire

Edwige-Renée DRO
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Merci pour ton commentaire.

Au sein de sa formation politique, il y a un groupe qui considère que dans la situation actuelle, il ne peut pas diriger le parti, et l’autre camp qui pratique la politique de Gbagbo ou rien. Personnellement, je pense que le FPI devrait prendre une décision qui puisse maintenir le parti sur l’échiquier politique et être un véritable acteur politique.